Marcelle Stöetzel, profession: femme pied-noire de révolutionnaire algérien

Savez-vous quel est le point commun entre Messali Hadj, Ferhat Abbas et Sidi Ammar At-Tidjani ?

Au-delà de leur algérianité, les trois ont eu pour Pygmalion une femme française originaire de Lorraine.

En effet, Émilie Busquant, Marcelle Stoëtzel et Aurélie Picard ont toutes les trois des racines familiales dans ce département de l’Est de la France.

Un écrin qui a forgé les épouses européennes les plus Algérianophiles de l’Histoire moderne.

Marcelle Abbas Stöetzel
Entretien du 25 octobre 1980 avec Monsieur et Madame Abbas sur Antenne 2. (© Capture d’écran Ina.fr | INA Histoire via YouTube)

Née le dimanche 24 janvier 1909 à Bouinan, dans la wilaya algérienne de Blida, la future Madame Abbas a grandi avec le statut d’Européenne parmi les indigènes.

Son père, Jacques Charles Stoëtzel, a lui-même vu le jour sur la terre de l’émir Abdelkader, à Sidi-Moussa.

C’est donc une petite dynastie de pieds-noirs, établie depuis plusieurs décennies sur le sol nord-africain.

Cantonniers modestes, ils font partie de cette technostructure responsable de l’occupation mais aussi de l’aménagement de ce territoire conquis militairement en 1830 au nom du Roi Charles X.

Ferhat Abbas et son épouse, MarcelleCitation de Marcelle Stoetzel: « Je ne l’ai pas épousé parce qu’il était politicien, j’ai épousé l’homme, j’ai épousé Ferhat Abbas. […] Je partageais ses idées après de le connaître. […] Mes parents étaient très Algériens, moi j’étais très Algérienne. Et je suis toujours restée très Algérienne. […] Mes parents ont accepté mon mari volontiers connaissant qui il était, on a accepté mon mariage. » (© Capture d’écran Ina.fr | INA Histoire via YouTube)

Héritière de cette rente arrachée à la canonade, elle épouse en juin 1934 son alter ego socio-professionnel, un certain Daniel Kirn.

Ensemble, ils auront deux fils, Yves et Henri, et une fille, Julia.

Mais ce mariage, presque (trop) parfait, s’est heurté au frisson de la dissidence qui frétillait déjà dans les esprits libertaires de cette époque.

L’Étoile nord-africaine existe depuis 1926, tout le comme le journal El Ouma fondé quatre ans plus tard, en octobre 1930.

Et même si elle fait originellement partie du camp des exploiteurs, elle n’est néanmoins pas hermétique aux supplications des exploités.

Une osmose proto-révolutionnaire qui l’a donc poussée dans les bras d’un nationaliste anti-colonialiste exalté, un certain Ferḥat Ɛebbas.

Arbre Généalogique Marcelle Stoetzel Ferhat Abbas

Elle épouse ce dernier en mars 1946, soit presque deux ans après le massacre de Sétif.

La cérémonie religieuse fut présidée à Kouba par le cheikh Mohammed Bachir El lbrahimi, et elle prit le nom musulman de Zahia donné par sa belle-mère, Achoura.

Ainsi, en prononçant la Shahada, elle abandonne son catholicisme natal pour embrasser la religion des Oummanistes.

Madame Ferhat Marcelle Abbas(© Capture d’écran Gallica | Le Petit Sétifien : organe national du 17 septembre 1953 | directeur-gérant François Venys)

Un engagement dont la facture fut carcérale, puisqu’elle fut arrêtée et emprisonnée à de multiples reprises par les autorités coloniales.

Perçue comme une traîtresse en métropole, le général de Gaulle en personne n’a pas hésité à la calomnier dans ses Mémoires en la réduisant à une casque à pointe à la solde des hitlériens.

Un outrage réputationnel gratuit ; réparé par la suite avec une lettre d’excuse accompagnée d’un ouvrage dédicacé de sa main…

Toute sa vie d’après-guerre fut entièrement consacrée à un vœu exaucé en mars 1962 ; avec la signature des accords d’Évian.

Citation de Ferhat Abbas, le mari de Marcelle Stoetzel

Pourtant, sa postérité fut réduite à la portion congrue.

Qui – parmi les 45 millions de citoyens algériens – se souvient encore de Marcelle, la femme de l’ombre du Président du gouvernement provisoire de la République algérienne ?

Marcelle Stoetzel, épouse de Ferhat Abbas
Première biographie francophone de Madame Abbas. (© DanXaw de Pixabay via Canva.com & DIY Book Covers)

À l’instar d’une multitude de Françaises qui se sont sacrifiées pour la cause, elle fut invisibilisée par l’historiographie officielle du FLN.

Seule la moudjahida Raymonde Peschade eût droit à cette reconnaissance posthume en héritant du statut honorifique de « chahida ».

Qu’attendent-ils pour en faire de même avec Jacqueline Guerroudj, Djamila Amrane-Minne ou encore Madame Busquant ?

Veuve depuis la mort de son second mari – un 24 décembre 1985 – l’épouse de Ferhat Abbas s’est éteinte seize ans plus tard dans les Yvelines, à Saint-Germain-en-Laye – le jeudi 31 mai 2001.

Elle aura vécu 92 ans, 4 mois et 7 jours.