Un étendard victime d'appropriation mémorielle

« Il faut en convenir, les véritables vérités sont bien difficiles à obtenir pour l’historien. Heureusement que la plupart du temps, elles ne sont qu’un objet de curiosité sans réelle importance.»

Napoléon Bonaparte[1]

La paternité – ou plutôt la maternité – du drapeau algérien a cette particularité de n’offrir qu’un seul lit pour plusieurs rêves.

C’est un trophée de guerre qui est disputé sur le terrain mémoriel par plusieurs régiments métapolitiques qui sont en rivalité depuis plusieurs décennies.

Chacun veut sa part du drapeau – et personne ne consent à céder au camp adverse un bout d’étoffe.

Cette confusion générale est la conséquence d’une absence de consensus parmi les Historiens officiels des deux pays.

De Slimane Zeghidour à Mohammed Harbi sans oublier Mohammed Nejib Sidi Moussa, tous maintiennent un certain flou artistique lorsque la question du drapeau leur est posée par les journalistes.

Aucun de ces grands pontes académiques n’a su faire preuve d’assertivité sur ce point de détail de l’Histoire algérienne.

Ce qui contribue à stimuler l’imagination de certains faussaires qui tentent d’opérer une OPA sur ce symbole indigéno-patriotique.

Parmi ces derniers, on retrouve notamment le docteur Chawki Mostefaï – un ancien cadre du PPA [ou Parti du Peuple Algérien] – qui a rejoint le FLN [ou Front de Libération Nationale] par opposition à la ligne prônée par Messali Hadj en mai 1951.

Qualifiant ce dernier du sobriquet peu flatteur de « traître objectif »[2], il a publiquement déclaré dans la presse qu’il était le véritable concepteur de la version actuelle de l’oriflamme algérien.

Si l’on en croit son propre narratif, il aurait lui-meme conçu ce symbole la veille de la célébration de la la victoire des Alliés afin de « montrer que les Algériens n’étaient pas contents de la colonisation. »

En effet, le rapport du Général de division Paul Tubert[3] – sur le massacre du mardi 8 mai 1945 à Sétif – mentionne « un drapeau algérien tricolore rouge (à la hampe) blanc et vert avec un croissant et une étoile rouges à cheval sur le blanc et le vert. »

Saisi de force par la police, ce descriptif correspond en tout point à l’actuel drapeau de la République algérienne – proclamé le jeudi 25 avril 1963 par la loi 63-145.

Bouzid Saâl, jeune Scout musulman indigène, est mort en martyre – de deux balles à bout portant – pour avoir arboré ces couleurs indigéno-révolutionnaires dans les rues sétifiennes.

Néanmoins, le docteur Mostefaï explique qu’il avait voulu dans un premier temps « trouver un exemplaire du drapeau, conçu par l’épouse de Messali Hadj », mais que ce dernier n’existait pas physiquement.

C’est alors qu’il dit avoir croisé un « vieux militant qui se rappelait seulement des trois couleurs de ce drapeau, vert, blanc et rouge. »

Toujours selon lui, c’est à partir de cette indication colorimétrique d’un vague extrême qu’il a pondu dix à quinze modèles jusqu’à deux heures du matin.

Deux versions ont alors retenu l’attention du futur chef de la mission diplomatique du Gouvernement provisoire de la République algérienne [ou GPRA]:

  • Une première « avec deux bandes horizontales vertes et une bande blanche au milieu marquée par un croissant et une étoile. »
Drapeau 8 mai 1945
Une des versions prétendument imaginées par le docteur Chawki Mostefaï à la vieille du mardi 8 mai 1945. (© Adnen1985 de Wikimedia Commons via Canva.com)
  • Et une seconde qui est depuis passée à la postérité.

Bien évidemment, il explique que cette œuvre de l’esprit est le fruit de sa seule imagination – n’ayant jamais vu physiquement ce modèle, ne sachant donc pas à quoi il pouvait ressembler.

Et qu’il s’est appuyé sur la description d’un « vieux militant ».

Pourtant, au cours d’un entretien accordé le mardi 21 avril 2015 au journal Liberté, il parvient miraculeusement à décrire avec exactitude la supposée version émilienne de l’étendard algérien en des termes bien précis:

« Le drapeau de Mme Messali est vert avec, dans le coin gauche, un carré blanc dans lequel il y a un croissant et une étoile. »

Voici donc un croquis du fameux « drapeau de Mme Messali » selon le récit du docteur Mostefaï:

Premier Drapeau Emilie Busquant
Prétendue version du drapeau cousu par Madame Messali selon les descriptions du docteur Chawki Mostefaï. (© Adnen1985 de Wikimedia Commons via Canva.com)

Un modèle, qui certes convaincant sur un plan esthétique, n’a jamais été décrit de la sorte par l’ensemble des témoins oculaires de son temps.

C’est donc un drapeau imaginaire tout droit sorti du cerveau d’un anti-messaliste décomplexé.

De même, il se trouve qu’aucun historien officiel, aucune source véritablement fiable, n’ait pu confirmer cette version des faits que l’on peut tout bonnement qualifier de « Mostefayenne ».

Quelque part, il s’est auto-attribué dans les médias la paternité de ce drapeau tout comme Jean-Bedel Bokassa s’est auto-couronné Empereur de Centrafrique au palais des sports de Bangui…

[1]: Mémorial de Sainte-Hélène, Emmanuel de Las Cases, mercredi 20 novembre 1816.

[2]: Entretien du mardi 21 avril 2015 dans le quotidien généraliste algérien Liberté, Ameyar Hafida.

[3]: Rapport rédigé par Paul Tubert sur les massacres de Sétif du mardi 8 mai 1945.