Madame Messali, dessine-moi un drapeau algérien !

« Être désappropriée de l’Histoire, c’est peut-être finalement l’Histoire la plus importante et la plus ordinaire qui arrive quotidiennement aux femmes.»

Arlette Farge[1]

Et si le drapeau de l’actuelle République Algérienne Démocratique et Populaire [ou RADP] n’était finalement qu’une création « made in France » ?

Derrière cette formule un tantinet provocatrice se cache une querelle de chapelle qui déchire certaines grandes figures anti-postcolonialistes depuis plusieurs décennies.

El Ouma, 14 juillet 1937, drapeau du PPADans cet article messaliste sur les événements du 14 juillet 1937, le « drapeau du P.P.A » – cousu et conçu par Mme Messali – est évoqué. (© Capture d’écran | Source gallica.bnf.fr / BnF | El Ouma : organe national de défense des intérêts des musulmans algériens, marocains et tunisiens | Directeur politique: Messali Hadj | Rédacteur en chef: Imache Amar | Date: 11 mars 1938)

Chacun y va de sa petite thèse historique sans jamais qu’aucun véritable consensus ne parvienne à être pondu sur le papier.

Ce brouillard informationnel contribue donc à faire le lit des faux-monnayeurs qui clament haut et fort en être les auteurs.

C’est notamment le cas du docteur Chawki Mostefaï, qui – par anti-messalisme primaire – s’est auto-attribué dans les médias[2] la paternité de ce symbole au cours des dernières années de sa vie.

Privant au passage Émilie Busquant du titre mémoriel de conceptrice officielle.

Femme européenne non-musulmane et compagne de Messali Hadj – un des pionniers du décolonialisme algérien – cette militante anti-impérialiste a littéralement été effacée du roman national algéro-FLNien.

Annonce du décès de Madame Busquant.(© Capture d’écran | Source gallica.bnf.fr / BnF | Média: La Dépêche de Constantine : journal politique quotidien | Date: 3 octobre 1953)

Aucune rue à Tlemcen ne porte son nom.

Aucune personnalité indigéno-féministe ne lui rend annuellement hommage.

Cette Dame suscite parfois de l’indifférence, quand ce n’est pas du dédain de la part de ceux qui souhaitent « sur-algérianiser » la conception de leur propre étendard.

Drapeau du MTLD algérien(© Capture d’écran | Source gallica.bnf.fr / BnF | L’Ardennais : quotidien républicain | Date: 2 mai 1951)

Pur produit de la classe ouvrière anarcho-révolutionnaire, la Lorraine est souvent affublée par un certain nombre d’intellectuels reconnus du substantif de « mère des Algériens[3]».

Pourtant, la quasi-intégralité de ces derniers ignorent totalement son existence.

Mise sous le tapis par les autorités algéroises, ne serait-elle pas alors devenue la « mère oubliée » de ce même peuple qu’elle a tant chéri au cours de sa vie ?

Du moins, son invisibiblisation médiatique est une anomalie à l’heure où le féminisme n’a jamais eu autant le vent en poupe.

Défilé du PPA du 14 juillet 1937, apparition de l'étendard algérien(© Capture d’écran | Source gallica.bnf.fr / BnF | L’Écho d’Alger : journal républicain du matin | Date: 15 juillet 1937)

Il parait donc nécessaire de réhabiliter l’une des principales génitrices du décolonialisme maghrébin sans pour autant travestir la Vérité.

À l’instar de Jeanne d’Arc – mise au placard plusieurs siècles durant avant d’être « ressuscitée » mémoriellement au XIXème siècle – il est impératif qu’elle fasse son grand retour dans le roman qui sert de trait d’union à ces deux nations voisines.

[1]: « L’histoire ébruitée » dans L’histoire sans qualité, Arlette Farge, éditions Galilée, 1979.

[2]: Entretien du mardi 21 avril 2015 dans le quotidien généraliste algérien Liberté, Ameyar Hafida.

[3]: Émilie Busquant: Madame Messali, La mère du peuple algérien ?, Marie-Victoire Louis, lundi 1er octobre 1990.